Nous l'avons rencontrée suite à son obtention du trophée de talent émergent par Thomson Reuters en décembre dernier. Ce prix récompense 11 jeunes chercheurs tunisiens qui se sont distingués de par le nombre de leurs publications scientifiques internationales, dans leurs domaines d’expertise respectifs. Parmi eux, deux femmes dont Nahla Ben Amor, Maître de Conférences en Informatique de Gestion à l’Institut Supérieur de Gestion de Tunis. Nous nous attendions alors à rencontrer un rat de l’informatique mal dans sa peau et qui ne s’épanouit qu’accompagné de sa souris mais nous sommes surpris de retrouver une jeune femme pleine de vie, mère de trois petites filles qui navigue avec bonheur entre ses activités professionnelles et familiales.
Originaire de Ksibet El Mediouni, Nahla Ben Amor a effectué ses études secondaires au lycée Menzah VI. N’ayant axé ses efforts que sur les matières qu’elle affectionnait particulièrement, elle ne réussit que moyennement son Bac. A l’époque, elle n’avait pas encore une idée précise de son métier d’avenir, hésitant entre des possibilités aussi éclectiques que médecine, agronomie, informatique et beaux-arts. Ce fût l’informatique de gestion à l’ISG, « mais si cela avait été autre chose, je l’aurais réussi tout aussi bien. Quand j’ai un travail à faire, je le respecte », dit-elle. Et la voilà partie pour un parcours en accéléré qui devait la mener de son DEA en modélisation et informatique de gestion obtenu en 1998 à la maîtrise de Conférence en 2007 en passant par son Doctorat en Gestion soutenu en 2002. Pourtant, ce cheminement n’a pas été de tout repos et Nahla a souvent été accusée de vouloir brûler les étapes, d’être encore jeune dans un domaine, la recherche, où le talent doit souvent attendre le nombre des années. Elle repassera pour cela tous les concours auxquels elle postulera, deux fois !
Pas assez pour entamer son optimisme, une seconde nature, et sa modestie. « Lorsqu’on m’a appelé pour m’annoncer que j’avais eu le prix, j’ai été étonnée. D’abord, parce que je n’ai jamais travaillé pour avoir des distinctions et puis je pense que d’autres collègues sont autant, sinon plus, méritants que moi et que dans la recherche, d’une manière générale, on est très peu habitués aux distinctions ». Le ton est donné dans ce bureau sommaire aux équipements minimalistes de l’ISG de Tunis, « c’est celui de mon patron, Khaled Mellouli», précise Nahla. Elle enchaîne pour nous parler justement du rôle de mentor du Professeur Mellouli, son directeur de thèse, qui « nous a appris à être autonomes, à aimer ce que l’on faisait, à dire ce que l’on pensait et ne nous a jamais fait de faveurs.».
Un produit 100% tunisien
Nahla Ben Amor est aussi fière de nous rappeler qu’elle est un produit 100% tunisien. Toujours modeste, elle attribue sa réussite à sa discipline très particulière, l’informatique de gestion qui, du fait qu’elle se trouve à cheval entre deux domaines, l’informatique et la gestion, ne compte pas beaucoup de laboratoires de recherche dans le monde. Elle ajoute : « il n’y a pas besoin de gros investissements en équipements et produits, juste un ordinateur et un cerveau. Et puis, nous avons eu la chance, durant notre DEA, de bénéficier de l’expérience de plusieurs professeurs invités parce qu’il y avait peu de spécialistes d’informatique de gestion en Tunisie. Ainsi, ces mêmes professeurs dont le nom figurait sur les articles que l’on étudiait venaient nous enseigner, là, à l’ISG. Nous les sentions donc proches, ce qui a renforcé notre confiance en nous-mêmes ».
Depuis, Nahla prend une part active dans la recherche de son domaine d’expertise, l’intelligence artificielle et les systèmes d’aide à la décision. Elle est de toutes les grandes conférences internationales, parvenant également, avec les membres de l’équipe du LARODEC (Laboratoire de recherche opérationnelle, de décision et de contrôle de processus) dont elle fait partie, à réaliser plusieurs projets de coopération internationale. Elle publie régulièrement dans les plus grandes revues et explique qu’elle doit cela à sa décision précoce de rédiger son mémoire de DEA en anglais, ce qui lui a permis d’acquérir une grande maîtrise de cette langue et lui a ouvert les portes des revues et colloques internationaux. Ces dernières années, elle fait même partie des comités scientifiques d’évaluation de grandes conférences internationales en intelligence artificielle et a été nommée reviewer pour plusieurs revues scientifiques de par le monde. Un succès qu’elle explique ainsi : « c’est difficile à croire mais je travaille tous les jours, je ne dis jamais non aux opportunités qui se présentent à moi et je ne m’arrête pas après chaque étape. Ainsi, j’ai commencé à travailler sur ma thèse le lendemain de l’obtention de mon DEA et sur mon habilitation le lendemain de la soutenance de ma thèse. Nous avons aussi une bonne émulation au sein du laboratoire. C’est important ! Je n’ai aucun complexe aussi. Je peux aller assister au cours d’un collègue si je sens que j’ai des lacunes à combler. Et puis j’ai l’appui de ma famille. Lorsque j’ai voulu participer à une Conférence internationale au Colorado alors que ma fille n’avait que deux mois, j’ai été soutenue par mon entourage. Matériellement aussi, ma famille m’a beaucoup aidé surtout au début. Et puis, un mari chercheur, cela aide aussi à comprendre les contraintes et les rythmes décalés de la vie universitaire».
A propos des conditions dans lesquelles exercent les chercheurs tunisiens, Nahla Ben Amor est lucide. « Cela n’a rien à voir avec ce qui existe en Occident. En Tunisie, vous devez travailler trois à quatre fois plus pour obtenir les mêmes résultats. Mais bon, c’est comme çà. Ou bien on va tous pleurer et dire qu’on n’a pas les moyens ou travailler davantage pour être au niveau mondial ».
Le temps passe vite aux côtés de cette jeune femme, une véritable boule de feu qui sait ce qu’elle veut et ce qu’il faut faire pour l’obtenir. Un dernier message peut-être qu’elle nous livre. La recherche est une vocation, un métier noble mais exigeant, ponctué de longues heures de labeur mais récompensé par ces quelques secondes où l’adrénaline monte lorsque vos pairs, à travers le monde, sans vous connaître, reconnaissent votre travail et considèrent vos travaux comme une contribution à la connaissance. Une satisfaction indescriptible qui dépasse toutes les autres …
Anissa BEN HASSINE